(…) Des milliards d’êtres vivants sont à l’œuvre en silence, chacun selon sa nécessité. Dans le fond des océans, des mollusques enroulent lentement les spires de leurs coquilles : ils battent la mesure du temps et créent des bijoux de nacre qui ont la forme des tourbillons stellaires. Pendant ce temps, des nuées de planctons électrisent les écumes. Des bancs de poissons migrent vers la surface pour le festin nocturne. Des cétacés patrouillent dans les courants, la lame de leurs nageoires fend la soie de l’eau. Des tortues immémoriales, plus vieilles que le premier hominidé, nagent mécaniquement dans les solitudes. Dans le ciel, se guidant aux étoiles, des sternes infatigables volent vers le pôle. Des oies sauvages passent en planant au-dessus de l’Himalaya : des alpinistes en aperçurent, du sommet, croyant à des hallucinations. Sous terre c’est un peuple de micro-organismes qui malaxe et baratte la terre. Vers, bactéries et animalcules aèrent le limon, sans repos. De ce pétrin invisible, traversé de racines, pulse la sève des arbres vers les feuilles assoiffées. Le pouls des arbres bat sans à-coups. Les fleurs rabattent doucement leurs pétales comme l’enfant ramène la couverture pour dormir. Des fauves rôdent dans les savanes, l’herbe bruisse à leur passage. Des herbivores se préparent à mourir. Des reptiles rampent sur le sol et leur ventre reçoit le signal des vibrations magnétiques du globe. Les crustacés nettoient l’immense masse des lacs. Des chiroptères papillonnent dans le noir, bombardant l’ombre des ondes de leurs radars. La vie s’enroule, s’annule, se détruit, se recrée, sans que personne n’en soupçonne rien.

Sylvain TESSON décrit ici (Le Figaro, 2010) comment l’on peut parfois percevoir « l’immense force vivante qui agit de par le monde ».

Il y a quelque chose de l’ivresse dans le travail nocturne d’une activité boulangère. On a parfois le sentiment d’ajouter à la mécanique du vivant le cliquetis de nos gestes comme si faire du pain participait au grand ordonnancement.


La matière est noble et nous relie à la terre : farine dont la blancheur évoque la pureté, issue du grain multiplié par la germination dans l’obscurité du sol. Sa transformation en pâte qui s’enfle et fermente tient de l’alchimie. La formation de la croûte et la structure de la mie nous place dans le ventre de la terre où chaleur et forces de pression structurent les roches.


Au sortir du four, au contact de l’air plus frais, le pain exhale ses fragrances en émettant de légers craquements : le chant du pain s’accorde au chant du monde.

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